Pour aller plus loin sur le stress au travail

            En mai 2009, Courrier International publie un dossier nous invitant à repenser notre rapport au travail. La plupart, si ce n’est tous les articles, sont confiants sur l’opportunité de la crise, qui a entraîné une montée en flèche du chômage, à nous y pousser.

            Mais à peine 5 mois plus tard, on constate qu’il ne faut pas moins de 25 suicides en une vingtaine de mois pour faire réagir les responsables de France Telecom - pourtant avertis par les autorités compétentes à deux reprises. Les défenseurs de l’entreprise disent que les suicident interviennent sur d’autres lieux de travail également ; ça n’en fait pas moins de celui-ci un exemple de la montée de l’angoisse.

            Comment, alors que son influence semble néfaste au point de pousser au suicide, repenser le travail, et sa place dans notre vie ? Le travail n’est-il que destructeur ?

Une économie de services

            Première difficulté : le définir dans une ère post-moderne. Les artisans loués par le sociologue Richard Sennett, cité dans le dossier de Courrier International, laissent effectivement une empreinte sur un monde qu’ils participent à construire. En revanche, l’empreinte des services est plus malaisée à déceler ; bien qu’ils participent à également à construire ce monde (ce que le sociologue ne semble pas voir).

            A côté du savoir-faire des artisans, quelle est l’essence des services ? Savoir-être, lien social marchandisé ? Si la question se pose, c’est qu’on redécouvre, au sein du travail en général, l’importance des liens sociaux qu’il permet de tisser – y compris par leur vente. Et la conclusion la plus important à laquelle on aboutit pour l’instant est très simple : il faut qu’ils soient stables.

Le travail empiète sur notre vie privée

            En revanche, réduire les liens sociaux à ceux que le travail crée est peut-être dangereux. Les Français, qui pourtant ont un nombre d’heures travaillées par semaine inférieur à celui de leurs voisins européens, trouvent davantage que le travail empiète sur leur vie privée. C’est d’autant plus gênant que nos attentes envers lui sont souvent déçues.

            Alors, que faire ? Faire d’une pierre deux coups : remettre en cause la place prépondérante du travail dans nos vies et en profiter pour développer ailleurs les liens sociaux et l’accomplissement qui nous manquent – en particulier, en les cherchant dans l’espace de débat public. Les chômeurs américains, qui se retrouvent bien malgré eux au chômage (contrairement à ce que dit le modèle du marché néo-classique), sont exhortés à profiter de ce nouveau temps libre non pour chercher un nouvel emploi, mais pour s’engager dans un Etat plus social, et pour réfléchir à un monde plus juste, par un article du Capital Times.

Le travail, aliénation bourgeoise ?

            C’est sans doute le meilleur moyen d’échapper à une forme d’aliénation inhérente au travail, niée dans le discours bourgeois que fustige Alain de Botton (sans voir qu’il tombe lui-même dans un misérabilisme largement petit-bourgeois). Car le travail n’est pas qu’une aliénation, même s’il n’est pas toujours évident d’y trouver un accomplissement. Il est d’abord une façon de se nourrir et de se loger ; nous sommes alors bien plus aliénés à la faim et à l’insécurité qu’au travail lui-même. Il est aussi une façon d’être indépendant, pour beaucoup de femmes et de jeunes.

            Pour cela, bien sûr, il faut qu’il soit rémunéré. Considérer le travail comme dégradant suppose malheureusement  qu’ils soit confié, d’une façon ou d’une autre, à des humaines ou des machines par ceux qui en ont le pouvoir. Ces travailleurs sont alors immédiatement considérés comme des sous-hommes, dégradés qu’ils seraient par le travail même qu’ils accomplissent. Ce faisant, ils laissent aux puissants la possibilité d’être oisifs, tout en continuant à se nourrir, se loger, se vêtir – et prospérer. Le sociologue Sennett condamne ainsi les banquiers, parasites qui d’après lui, ne peuvent prospérer qu’en « niant les valeurs de ceux qu’ils parasitent ». D’une certaine façon, notre structure sociale soutient le point de vue d’après lequel le travail est dégradant, en rémunérant pauvrement le travail de seule production, le travail manuel.

Echelle de valeur et reproduction sociale

            A cette échelle de valeur s’en superpose, curieusement, une deuxième. Le travail manuel, considéré comme dégradant, est laissé aux classes laborieuses. Mais le travail intellectuel, lui, est à la fois richement rémunéré, et la propriété d’un petit nombre fort difficile à déloger (tout au moins celui qui débouche sur des produits élaborés vendables). Pire : ceux qui sont parvenus par leurs efforts à se hisser au sommet de l’échelle sociale lèguent cette position à leurs enfants qui… en héritent, tout simplement. Mais ces enfants n’ont pas, entre-temps, été forgés par un long apprentissage, un travail acharné. D’où un certain goût pour l’argent facile partagé au moins par une certaine élite financière, en dépit des conséquences catastrophiques que cela peut entraîner sur l’économie réelle.

            Ainsi conclura-t-on avec Richard Reeves, directeur du cercle de réflexion britannique Demos, qu’ « un bon travail a trois qualités : il est utile, convivial et responsabilisant ». Repenser le travail à partir de ces trois pôles pourrait peut-être nous aider à vivre mieux ?

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